dimanche 6 novembre 2022

 

Le pinceau à Robinson

 

Hélène Cohen Solal

 

« L'hominisation est l'ensemble des processus évolutifs par lesquels les Hommes ont acquis les caractères qui les distinguent des autres primates ».

Teilhard de Chardin

 

«  C’est pareil à chaque fois,on nous demande de fabriquer un objet

et on se retrouve à fabriquer une sculpture »

Françoise Laplace

 

Après avoir été des conquêtes technologiques puis des vecteurs de la consommation de masse (consommation inégalitaire) les objets ont été perçus comme libérateurs. Dans le contexte actuel les objets deviennent envahissants et leur production et profusion écologiquement néfastes, surtout on peut considérer qu'ils font entrave à l'intelligence et à la créativité...

À travers un atelier , nous proposons d'explorer, de découvrir, un autre rapport aux objets. Ateliers dont l'expérience sur nos terrains témoigne qu'ils soutiennent les adultes et les enfants dans un remodelage de leur place dans la communauté des hommes, dans leur façon de la penser.

L'atelier appuie une écriture sur une fabrique d'objets à partir de matériaux de récupération, plutôt « naturels », voire de rebus, le mot fabrique n'est pas innocent, il énonce le travail de l'acte à la pensée, le travail de l'intelligence et de l'invention dans les objets que nous ne connaissons plus que prêts à l'emploi, prêts à être consommés, jetés...

Dans cette fabrique d’objet se joue l'appropriation créative et technique et la dérision. C'est aussi une façon de réfléchir sur la prolifération d'objets parcellaires, la quête insensée de simulacres d'opulence pour renouer avec une "industrie", un art d'extraire, pour plus d'émancipation de tout homme dans la société.

L’atelier finit par la création de « vitrines », la vitrine c’est et le cabinet de curiosité d’autrefois la vitrine des musées de sciences et techniques et une forme contemporaine d’installation artistique.

Le cabinet de curiosité avait été (en Europe, à partir de la Renaissance) l’espace où cheminaient indistinctement la science, l’art et l’artisanat d’art avec des objets relevant de l’artificialia, le naturalia, l’exotica et le scientifica.  Il s’y côtoyait des objets relevant de la science en construction et des croyances, à égalité de statut dans leur volonté d’expliquer le monde. Les surréalistes ont décliné un travail autour d’objets, naturels, sauvages, scientifiques, industriel ... en les interprétant, les perturbant, les incorporant, les composant, à égalité de statut : comme questionnant le monde.  Dans les collections permanentes du centre Pompidou figure la vitrine d’André Breton, assez proche d’un de ces cabinets de curiosité, ces objets étaient autrefois « actifs », porteurs de douleur, de guérison et d'espoir, de vie et de mort, ils coexistent avec des créations surréalistes, histoire et créations se répondant.

 

Le dispositif

Écrivez

chacun une définition à « outil ». Chacun lit sa définition et je prends des notes au tableau….

Être un naufragé

Vous êtes peintre, et/ou calligraphe, échoué dans une île déserte, vous allez partir chercher des matériaux pour re créer un outil de votre art.

Partir en récolte de matériaux,  pour soi et pour autrui, Récoltez ce qui vous paraît faire outil, promesse d’outil, fragment d’outil, récoltez trop (en double) pour pouvoir partager. 10mn

Vous étalez vos récoltes à votre place, celles que vous mettez en partage sont disposées sur une autre table.

 

Premier échouage

 Chic une malle s'échoue avec des outils (pinces, coupantes, vrilles, scie, marteau…) et on retrouve des rebuts de l’épave : bouts de ficelles, de galons et de tissu, des morceaux de chambre à air…

Des pages d'un livre de Leroy Gourhan ( planches outils et textes)
On réalise son outil, il doit pouvoir tracer
 puis un autre 15 mn

Exposez vos outils

Circulez et copier l'outil de quelqu'un d'autre avec les matériaux restant, en augmentant la technicité ou la beauté de l'outil

10 mn

Deuxième échouage

Chic des vieux papiers se sont échoués, un assortiment de cinq : calque, pages de vieux livres, papier blancs, soie, papier gris et vous avez extrait d’une seiche son encre(de l'encre pourrait être réalisée avec jus de betterave, café etc...)

Avec votre (vos) outil(s) et de l’encre faites des écritures plastiques, des calligraphies, des signes, des rébus….

 

Anthropologies

Bien des années plus tard ces objets sont retrouvés…

On rassemble les outils, qu'on nomme "objets de fouille", comme dans toute fouille, les objets ne sont pas immédiatement identifiés, ils sont exposés avec un papier à côté visant à récolter les spéculations ethnologiques, anthropologiques, poétiques…. des chercheurs qui s’y confrontent.

Vous êtes ces chercheurs amateurs, vous avez différentes spécialités, historien de l’art, anthropologue, ethnologues, mathématicien… écrivez, formules, périphrases tentez de définir l'usage, réél, symbolique, fictionnel, de chaque objet  produit dans l'atelier par une écriture rapide, ludique et décomplexée.

ex  macabres pendeloques d’une grande fibule ethnique, trouvées dans la tombe présumée d'une femme nommée JC (crâne aux dents cariées, ossature arthritique), datation 40 000 ans



Vitrines

Vous êtes désormais  un artiste qui devez exposer au palais de Tokyo dans une exposition "anthropologies imaginaires" vous avez une heure pour réaliser une vitrine, matérialisée par une feuille 50 x 65 noire,  vous disposez de feuilles A4 blanches et grises, de bristol
Vous rédigez à partir des suggestions des autres un texte de présentation des objets/outils
et vous présentez

-Les objets/outils

-Les scriptures

- des schémas et/ou descriptions

- Le texte « anthropologique » argumenté, vous servir des pages de Leroi Gouhran

- Leur numéro d’inventaire…

ou tout autre document nécessaire

 

Discussion

Art et hominisation

Outil et art

Art et artisanat

La vitrine dans l’art contemporain

 

Citation

"Autre chose, qui me parait essentielle, que j'aimerais dire. Vous savez que ce qui me porte ou me pousse, m'oblige à écrire, c'est l'émotion que procure le mutisme des choses qui nous entourent. Peut-être s'agit-il d'une sorte de pitié, de sollicitude, enfin j'ai le sentiment d'instances muettes de la part des choses, qui solliciteraient de nous qu'enfin l'on s'occupe d'elles et les parle..."

 

Francis Ponge in "Méthodes" Idées NRF, Gallimard

 


 

Références

Chemin de la connaissance, France Culture, L’art et l’anthropologie (2)

Transcription, par Taos Aït Si Slimane, de l’émission, du 19 juin 2007, Les chemins de la connaissance par Jacques Munier, « L’art et l’anthropologie (2) : Le système des objets avec Pierre Lemonnier »

« Jacques Munier : C’est sans doute dans l’attention portée aux objets ou aux œuvres de ce qu’on appelle aujourd’hui, avec des guillemets, « les arts premiers » que peut se produire la rencontre féconde entre l’histoire de l’art et l’anthropologie. Avant d’envisager le croisement des méthodes ou la mise en contact des histoires et des imaginaires respectifs de chacun de ces champs. La question initiale revient à la définition de ces objets, de ce que Philippe Descola appelle leurs propriétés ontologiques. Or, Pierre Lemonnier, celles-ci résident dans le système indissociable de leurs qualités mythiques, rituelles et techniques.

Pierre Lemonnier : Oui, alors ça, c’est un résultat de la recherche contemporaine. Un résultat de la recherche contemporaine qui en fait remonte à des gens comme Marcel Mauss, Pierre Francastel et André Leroi-Gourhan. Pour eux, il n’y avait pas de césure entre art et technique, entre esthétique et technique. Il était bien entendu qu’il s’agissait de comprendre comment l’art et ou les techniques devaient être pensés comme des productions sociales dans des systèmes culturels, d’essayer de repérer quelles étaient leurs relations avec d’autres aspects sociaux et de cultures et de repérer leurs relations entre-elles. Ce qui est nouveau, et c’est la force du colloque du Quai Branly, c’est de rapprocher à la fois des historiens de l’art, des sociologues de l’art, des philosophes de l’art, des gens qui font ce qu’on appelle des material cultural studies , c’est-à-dire qui s’intéressent à la signification des objets et à la sociologie de la consommation des objets, y compris des objets ordinaires, avec une vieille tradition française qui remonte à Mauss, via Leroi-Gourhan, via les élèves de Leroi-Gourhan, via ma génération, et que l’on appelle la technologie culturelle, c’est-à-dire l’intérêt pour les systèmes techniques ordinaires et ce qu’ils sont à dire sur la société. »

« Leroi-Gourhan précise : « L’analyse jusqu’au point présent a délibérément négligé ce qui fait le tissu de relations entre l’individu et le groupe, c’est à dire tout ce qui se réfère au comportement esthétique »

Voici la difficulté : « Il semble que la conquête de l’outil et celle du langage ne représentent qu’une partie de l’évolution de l’homme et que ce qui est entendu ici par esthétique ait tenu dans notre ascension une place aussi importante, mais, alors que la paléontologie nous fournit une restitution assez détaillée des états du cerveau et de la main, alors que les silex taillés assurent une bonne vision de l’évolution technique, on ne voit pas, à première vue comment dégager ce qui ne s’est imprimé ni dans le squelette ni dans les outils, nj, - pourrait-on ajouter- ,dans le langage usuel ( usagé ).

Il faut s’entendre, en effet , sur le sens donné ici au mot « esthétique » :

Il ne s’agit pas de rechercher dans la nature et dans l’art,- à partir des choses ou des objets produits-  ce que la philosophie appelle le beau, mais bien de comprendre « le va et vient dialectique entre la nature et l’art, qui, marquant les deux pôles du zoologique et du social », paraît bien constituer l’essence de l’humain qui s’instaure avec la production d’un monde.

Que nous révèle le comportement esthétique de l’homme concernant le sens du procès de l’hominisation, par lequel les êtres deviennent humains en produisant les conditions de leur existence sociale ?

A la fin du compte, au terme de l’analyse, le comportement esthétique, qui se situe au cœur de ce « va et vient dialectique entre la nature et l’art » doit permettre de comprendre le caractère spécifique de l’humain.

Sans doute y a-t-il un lien essentiel entre le processus de l’hominisation et le comportement esthétique, qui doit éclairer à la fois la genèse de l’homme et celle de l’art. « 

La totalité de cette série est transcrite et est disponible sur le sitehttp://www.fabriquedesens.net/Chemin-de-la-connaissance


 

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