dimanche 6 novembre 2022

 

Carnets mémoire

Carnet secret

                                                                      Les carnets de ma cousine,

                                                                                              Rachel Laplace[1]

Hélène Cohen Solal

 

" La représentation passe par des images, par des signes ; les images forment des simulacres, les signes sont des rappels, des moteurs. Ici quelque chose est simplement en train d'apparaitre : quelque chose qui ne simule pas, qui n'écrit pas, et dont le statut demeure indécis. Cette chose est un lieu peint : une peinture qui ne représente pas des objets, des figures, mais leur être là -ou plutôt ce par qui ou à travers quoi ils nous deviennent présents"" Le problème c'est qu'une fois peint, il se comporte moins en surface de représentation qu'en espace ému et émouvant. Supposez un miroir qui ne refléterait pas : on y entrerait comme on entre dans l'air, et tout à coup on s'avancerait dans sa propre intériorité."

B. Noël, "Onze romans d'œil", POL

 





Préparation de papiers pliés en accordéon  (leporello), pour un atelier court en effectuant un pliage en trois de bandes d’environ 10 x 55 cm, le choix a été de laisser les bords effrangés.

Sur chacune des bandes nous avons installé une figuration par décalquage d’œuvres ; cette figure humaine oriente le carnet soit en longueur, soit en hauteur. On peut avoir fabriqué des carnets en dessinant deux fois la même image, pour que le choix reste le plus ouvert possible. Elle est indifféremment placé sur le carnet, gauche/ou haut, droite /ou bas, ou centre, voire à cheval sur une pliure.

Cet élément de figuration, me semble facilitateur : nous nous adressons à des publics amateurs, non inscrits dans une démarche créatrice, interpellés lors d’une exposition artistique de carnet, mais qui pourrait aussi l’être pour une exposition à thématique historique, une commémoration …

Les personnes peuvent arriver à n’importe quel moment de l’atelier, j’ai prévu un déroulement plus fluide que  d’ordinaire, en faisant intervenir la/les consignes dans un récit patient, posé, chuchoté pour faire fonctionner la problématique du secret. Ce sont des consignes floues.

Tous les « carnets » sont installés sur les tables de travail afin de permettre que chacun choisisse celui dont on pourrait dire qu’il « s’adresse à lui », qui lui permette de s’impliquer dans sa propre intériorité.

Le récit

Moment du choix, de l’élection

« Un carnet c’est peut-être, un espace vertical, ou un espace horizontal, c’est un espace plié ou se déplieront des signes plastiques ou des signes d’écritures, votre carnet est à écrire, à peindre, à choisir parmi tous les carnets »

Signes d’écritures


«Vos avez choisi une image, une figure qui erre ou s’ancre dans la page… elle a son aura de mots, de nom propre, de signe de chiffre. 

Carnet de voyage, carnet intime, carnet secret, carnet de vie, carnet de poche… les mots viennent surviennent, les signes, lettres, chiffres se dispersent, s’organisent en archipel, en ilots, en lignes, »

Circuler en distribuant une page de livre, livre jauni…

Prélevez dans la page vos mots, phrases, composez recomposez, décomposez, faites des  ajouts, créez message ou lettre, aphorismes, en ajoutant, retranchant…

Gardez cela par devers vous pour le coller plus tard.


Couleur

C’est votre carnet, donnez lui une couleur, des couleurs qui se superposent, s’imbriquent, se fondent, s’effacent, chevauchent ou non la figure

Pastel secs

 

Images

« Dans le carnet on retrouve, des photographies anciennes, peut-être abimées ; un personnage a peut-être disparu. La photographie a pu être déchirée, pliée, soit qu’elle fut conservée dans une poche, soustraite aux regards, porteuse d’un secret, celui d’un père d’une mère, d’un amant. Ou c’est un lieu secret, un paysage d’enfance…»

Étaler des photographies anciennes où chacun peut puiser une photographie, qui soit personnifie, soit localise, évoque

Installez ces fragments ou … collez

 

Faites un tour parmi les travaux

 

Lieux

« Le carnet c’est peut-être aussi la mémoire d’un lieu ou d’un itinéraire, d’un voyage, d’un exil… entre deux lieux, entre deux pages»

Proposer des cartes routières usagées

Poursuivez les itinéraires

 

Faites un tour parmi les travaux

 

L’actuel

« Le carnet se n’est pas que la mémoire inerte et ancienne, il s’inscrit dans l’actuel, le votre, le notre, soit qu’il se donne à lire, à voir, soit qu’il continue à s’écrire »

La métaphore de l’actuel, se sont ces fragments vifs, colorés, qui proviennent de mon atelier. Prélevez ce qui ferait écho au présent, à l’avenir.

Mettre sur la table, les fragments de fresque réalisée dans les ateliers du stage, et mettre à disposition les pastels gras, fusain et outils d’écriture.

 

Collage des mots

Circulation parmi tous les travaux

Par trois faites état d’un bonheur de l’atelier, d’un levier, d’une surprise, parlez en et formulez une question .

 

Fragments d’analyse

 

La mémoire

Selon le contexte on peut choisir les documents pour orienter l’atelier.

Le livre peut-être celui des listes de personnes déportés pour un atelier sur le génocide, un roman ou un livre d’histoire…, un livre de littérature jeunesse si on s’adresse à des très jeunes…

Les photographies peuvent être dupliquées d’un fond patrimonial ou familial, être anecdotiques et bucoliques (par exemple pour un atelier sur les « congés payés ») ou plus tragiques (photographies de tranchées, de bombardement pour un atelier sur « La grande guerre »[2])

 

La figuration

« La  « figuration » c’est ce qui revient toujours comme limite au « tous capables » dans les ateliers du Secteur art plastique du GFEN. Cela interroge la place d’un apprentissage technique dans un cursus d’appropriation.

L’atelier, du point de vue qui est le mien, est un dispositif dont la mécanique première est celle de la fabrique, où on épargne aux participants, les injonctions qui sont au fondement d’une représentation courante du travail créateur, injonction à faire beau, à faire inédit, à faire difficile, à faire avec l’inspiration …

Pied à pied, nous devons dans l’héritage fécond des dadaïstes, des surréalistes puis des oulipiens nous battre pour des dispositifs créateurs qui ne convoquent pas l’esthétique, la beauté ne compte pas, ni l’élitisme, la rareté et la difficulté ne comptent pas et les processus se disent et se partagent, ni le spontanéisme, l’inspiration ne compte pas, ni le consumérisme, il s’agit d’inventer des formes nouvelles avec de l’ancien et qui ne se réfèrent pas à l’autorité d’un maître ou d’un marchand, à l’injonction de nouveauté, à la révérence… Ce qui implique de les construire et de les peaufiner pour les rendre efficients, producteurs sans exiger de préalables. Les savoirs et savoirs faire viendront dans l’après comme des conquêtes et des apprentissages que le désir construit dans l’atelier viendra soutenir, qui seront d’autant plus exigeants que l’investissement sera construit. »[3]

La consigne floue

«  La consigne floue , c’est ce que nous avons inventé au secteur Art plastiques pour créer un espace d’interprétation, de recherche, ouvert, sollicitant l’imaginaire divergent des participants, dans le « faire » sans s’arrêter pour questionner son sens et son bon sens,  sans mobiliser normes et sur normes qui fabriquent de l’empêchement.

Flou et multiple

Ce qui est flou mobilise la dimension métaphorique. Il autorise un travail divergent, celui qui produit de l’interprétation Il est préférable souvent de décliner une consigne, comme dans un atelier d’invention de signes où il est proposé de tracer des signes sur des petits papiers, à l’encre, des signes, d’autres signes, des signes inventés, des signes incompréhensibles, des signes secrets, des signes à soi… plutôt que de répéter ou d’expliquer « inventer des signes ».

Démobiliser la sur norme

Chacun dans un atelier se fait le plus souvent une image trop forte (normée) de la consigne plutôt que pas d’image du tout…

Il faut permettre à chaque participant de cheminer avec ses propres interprétations et non avec les nôtres, de se saisir de ses propres matériaux dans un panel de matériaux proposés (qui n’est jamais « tout » le matériel). Rappelons que l’atelier du GFEN est un atelier « colporteur », nous apportons un matériel qui essaie de répondre à la double exigence de faire liberté et de faire contrainte, pour organiser la liberté, nous apportons un matériel peu conventionnel, c’est à dire qui ne génère pas une norme (sur norme) de travail, ni une exigence de maitrise technique comme par exemple avec  le cirage nous obtenons  immédiatement « un glacis » [4], il contraint par ailleurs à l’invention puisque n’existe pas de manuel artistique développant le bon usage du cirage. »[5]

 



[1] Petit nom de la démarche originale, le livre récupéré dans une boîte à livre était « Ma cousine Rachel » de Daphné du Maurier et le trésor de photographies anciennes provenait d’un don de Françoise Laplace, animatrice au secteur Arts Plastiques.

[2]  Cela fait référence à deux ateliers un peu de la même veine élaborés :avec Josette Marty, pour commémorer le soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration, ou avec Dominique Barberet pour la célébration des soixante ans de la conquête des congés payés, ateliers animés en centre de vacances, CCAS EDF.

[3] Analyse issue de l’atelier « Le dispositif figuratif », Hélène Cohen Solal

[4] Le glacis est une technique de la peinture à l'huile consistant à poser, sur une couche déjà sèche, une fine couche colorée transparente et lisse.


[5]
Analyse issue de l’atelier « La défiguration », Sylvie Nau Hélène Cohen Solal

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