Violence, La défiguration[1]
Pratiques iconoclastes
Hélène Cohen Solal
On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S'il n'y a pas changement d'images, union inattendue des images, il n'y a pas imagination, il n'y a pas d'action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d'une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui correspond à l'imagination, ce n'est pas image, c'est imaginaire.
Il a montré que l'habitude était l'inertie du devenir psychique. De notre point de vue très particulier, l'habitude est l'exacte antithèse de l'imagination créatrice. L'image habituelle arrête les forces imaginantes.[2]
Bachelard
Bachelard place les forces imaginantes du côté de la prodigalité d’images aberrantes . Un peintre « donne forme à des images », il ne restitue pas une forme perçue, communément perçue. Il n’y a pas adéquation entre la représentation picturale et la figuration quand, ce qui en serait le parangon - l’image photographique – est la référence. Cela paraît alambiqué, mais la représentation est une construction historique qui dans l’histoire de l’art a eu des phases très orientées par le symbolique.
Picasso inaugure une phase d’attaque des images conventionnelles occidentales par l’introduction de figures formées à partir de la tradition africaine, se fut comme un acte « terroriste de violence fait à l’ordre traditionnel de la représentation[3] ». C’était proprement une « défiguration », réalisée non point tant pour imaginer que pour penser. Ainsi l’art invente des formes et des mises en forme qui mettent à mal la banalisation de l’image, pour qu’elle continue à interpeller. Depuis Picasso, les figures ont été passées à la moulinette : déchirées, lacérées, encroutées, d’autres procédés avec d’autres desseins mais toujours pour donner à lire avec une intention critique. Nous allons explorer « La figure [es]t vitriolée par la peinture même »[4], pour témoigner de la violence[5] autrement qu’avec des mots, mais aussi parce que la peinture apporte à la pensée.
Un dispositif
Écrire chacun une définition de violenter, ou faire violence (5 mn), pour de personnes, des choses des lieux….
En relation avec ses définitions essayez de trouver cinq verbes d’action qui métaphoriseraient les « effets de violence » et qui pourraient être une opération plastique sur une « image » (5 mn)
Partager cet inventaire de mots avec quatre autres personnes et regroupez- les selon des critères communs qui puissent exprimer l’opération de façon plus générale (15 mn)
Établir un classement de l’inventaire
Énoncés |
Opérations |
baillonner…. |
dégrader effacer, gommer, râper |
humilier…. |
maculer, tacher, voiler, ensevelir, polluer, salir |
anéantir….
|
ensevelir, salir, saccager, polluer |
torturer…. |
trouer, lacérer, dégrader, piqueter, effilocher, piller, violer, torturer, scarifier…. occulter, coudre, agrafer |
Choisir
Devant un étal de reproductions couleurs de portraits et de paysages (voir l’annexe 1) choisir une reproduction .En préalable nous déclarons que : « malgré la violence se maintiennent des fragments intacts et non dégradés » et nous demandons de réaliser sur la reproduction des espaces de réserve au scotch transparent. Demander de constituer « des réserves », c’est prendre en compte que le travail, effectué rapidement, en démobilisant des freins à l’exploration plastique pourrait déboucher sur un travail de saccage et de mutilation « quasi définitive » de l’image initiale, ce qui est tout à fait une démarche plasticienne dont dans le travail final de l’atelier chacun pourra s’emparer, en défigurant ces réserves mêmes.
Faites violence, attenter, saccager
Vous allez « attenter » à l’image, pour témoigner, pour concerner, interpeler, faites le de façon méditée
Trois ou quatre tables de matériaux sélectionnés, on rejoint une table en fonction de ses envies
1 » Traitez votre image en choisissant parmi les matériaux présents : cirages colorés, papiers calque, sopalin, colle, scotch transparents colorés ou pas, rhodoïd translucide, bâche fine de travail maculée , vernis…sur votre reproduction reproduction . (15 mn), et gouache rouge
2 Traitez votre image en choisissant parmi les matériaux présents : gouaches opaques (brun, blanc, bleu), typex, scotch opaque, pastel gras (brun, blanc, bleu, sépia)
3 «Traitez votre image en choisissant parmi les outils présents, cutter, ciseaux, perforeuse, agrafeuse, fil (de couture ou fil métallique) et aiguilles,
Circulation parmi le travail des autres
Puis, installez les travaux de trois
quatre personnes ensemble et à l’aide de
« fenêtres »
[6]
sélectionnez un (et un seul) fragment du travail qui vous intéresse
particulièrement mais qui fait énigme en tant que procédé, l’auteur explicite
sa technique, qu’elle soit accidentelle ou méditée, passez ensuite à un autre
auteur. (20 mn)
Travail final
Circulation parmi le travail des peintres
Parmi les reproductions
couleurs d’œuvres vous vous saisissez d’un travail qui fait écho à la
problématique plastique que vous voudriez mettre en œuvre (iconograp
hie d’œuvres
« tragiques » notamment contemporaines). Quelqu’un qui serait votre
pair, installer votre travail en dyptique.
Vous composez avec les différentes techniques en partant d’un nœud dans votre travail initial, soit prélevé soit réinterprété
Discussion préparée par groupe de quatre
Vous recherchez le moment le plus handicapant. Le moment le plus facilitant. Le moment le plus jubilatoire.
Est ce un paradoxe que la « violence » puisse être l’occasion de travaux perçu comme esthétiques ? Que le travail est pu être jubilatoire ? Qu’est ce que cela apporte à notre réflexion sur la violence ?
Une perspective d’appropriation de l’atelier, autre version, prolongement, contexte…
Une question à l’animateur 20 mn
Discussion
30 mn
Matériel plastique :
Cirages colorés, bleu, brun, noir, bordeaux, vernis, pigments, encre (jaune, ocre, sépia)
Calques, scotch, bâches, rhodoïd translucide, bâche fine de travail maculée (issue de la protection des tables des précédents ateliers),
Papiers calque, sopalin, colle, scotch transparents colorés ou pas,
Autres images de petits formats (notamment négatif photo), cartes et papiers jaunis,
Gouaches opaques (brun, blanc, bleu), typex,
Outils :
Cutter, ciseaux, perforeuse, agrafeuse, fil (de couture ou fil métallique) et aiguilles, brosses et spatules, cartes téléphoniques usagées pour étaler ou couteaux de peintre, palettes.
Un demi raisin papier blanc par participant
Matériel iconographique
Reproduction en couleur issues de revue ou d’ouvrage (si possible 21 x 29 cm minimum 10 x 15 cm, compter un peu plus de reproductions que de participants ) de facture « classique ». Nous avions dépecé un catalogue de l’œuvre de Théodore Chassériau[7], et disposions d’une collection de portraits de facture classique (Titien, Manet) essentiellement, mais prévoir aussi des reproductions de paysages ou de bâtiments que la violence atteint aussi.. Des œuvres photographiques peuvent tout à fait figurer dans la collection .
Références iconographiques/tragique
Abramovitch, Boltanski, Kiefer, Twombly, Tapies, Fontana, Fleicher, Baselitz, Fautrier, Rebeyrolle, Dubuffet, Picasso…. etc.
Bibliographie sommaire
Patrick Nardin, Effacer, défaire, dérégler, L’Harmattan, L’Harmattan
Georges Didi Hubermann, Montage des ruines, simulacre n°5, Ruines
Victoria Lacombe, la maladresse dans l’art contemporain,
François Noudelman, Images et absence, L’Harmattan
Murielle Gagnebin, Fascination de la laideur, Champ vallon, PUF
[1] D’après l’atelier la défiguration inventé avec Sylvie Nau au stage de Nantes portant sur la mémoire.
[2] Gaston Bachelard, L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, José Corti, (1943), 1990, introduction p.7.
[3] Picasso, cité par Marcellin Pleynet,” Les modernes et la tradition, Galilée.
[4] « Une histoire parallèle 1960 1990 », figuration défiguration, Petit journal, Musée National d ‘Art Moderne, Paris, 1993.
[5] Atelier remodelé dans une semaine d’ateliers et d’exposition pour témoigner des violences faites aux femmes.
[6] Dans des papiers 21 x 29,7, nous avons découpé un espace, ce vide crée un effet de fenêtre, il isole un détail et occulte l’alentour.
[7] Théodore Chassériau, 1819 (Santa Bárbara de Samaná, rep. dominicaine) 1856 (Paris), peintre français de facture romantique, orientaliste, néo classique